La région aride située directement au sud du désert du Sahara (Sahel), qui s'étend du Sénégal à l’Éthiopie, dispose de sources limitées de graisses et d’huiles. Les produits laitiers provenant de vaches et de moutons sont rares et les cultures traditionnelles oléagineuses sont peu nombreuses. Cela est problématique pour la santé humaine car les graisses et les huiles contiennent des lipides essentiels à l’absorption de vitamines et constituent une source d’énergie riche en calories.
Le karité (Vitellaria paradoxa) est une source traditionnelle et largement répandue de graisse végétale dans le Sahel pour les peuples Bambara, Dioula, Peuhls, Haoussa et Wolof. Certains de ses noms communs semblent indiquer son importance diététique: arbre à beurre du Bambouk, arbre à beurre de galam et arbre à beurre. Parmi les autres noms communs dans de nombreuses langues différentes figurent karité, cárei, carité, lulu, sirreh, se, berekunan, tamba, taanga et kareje. La chair du fruit et le beurre provenant des noix de karité sont d’importantes sources de nourriture pendant les mois de famine du début de la saison des pluies, avant la récolte des cultures annuelles. Cependant, même si l’arbre à karité est répandu et utilisé traditionnellement, il est sous-utilisé en raison de la quantité importante de main-d’œuvre, de combustible et d’eau nécessaire pour le traiter. Le processus de fabrication du beurre, épuisant et exigeant en ressources, peut être rationalisé grâce à des méthodes modernes et peu techniques, qui pourraient en accroître l’utilisation comme protection contre l’insécurité alimentaire.
Croissance, forme et utilisation
Depuis des siècles, les agriculteurs du Sahel préservent les plants d’arbre à karité lors du défrichage des terres cultivées. En plus de la précieuse graisse comestible, l’arbre fournit des fleurs comestibles et du fourrage pour les abeilles, et certaines parties de l’arbre peuvent être utilisées comme médicament. Les agriculteurs apprécient également l’arbre à karité pour son bois résistant aux termites et sa capacité à survivre aux sécheresses sévères et aux feux de brousse (dus respectivement à une longue racine pivotante et à une écorce épaisse). L’arbre à karité fournit de l'ombre au bétail et sert de pare-vent pour réduire l'érosion et les dégâts aux cultures. Pour toutes ces raisons, préserver l’arbre à karité est une stratégie de survie logique, en particulier pendant les périodes de variabilité climatique extrême.
L’arbre à karité fournit tous ces services avec peu d’intrants de la part des agriculteurs. L’arbre se reproduit naturellement (par les graines) et pousse lentement mais régulièrement, atteignant une hauteur de 20 mètres et un tronc atteignant jusqu'à un mètre de diamètre. Les feuilles sont dures et regroupées aux extrémités des branches. L’arbre à karité a des feuilles caduques, mais de nouvelles feuilles apparaissent lorsque les anciennes tombent. L'écorce est sombre, épaisse et profondément fissurée en carrés. Cet arbre pousse dans des zones où les précipitations annuelles sont comprises entre 400 et 1 800 mm, mais peut survivre à des sécheresses pluriannuelles ainsi qu’à la saison sèche annuelle habituelle de 6 à 8 mois. L’arbre à karité pousse jusqu'à 1 200 mètres au-dessus du niveau de la mer dans les zones où la température minimale est de 18° C et la maximale 45° C (NRC 2006).
Un arbre à karité commencera à produire des fruits après 15 à 20 ans, atteindra sa pleine production entre 40 et 50 ans et pourra vivre jusqu'à 400 ans (NRC 2006). Les fleurs fleurissent pendant la saison sèche; elles fournissent du nectar aux abeilles domestiques et peuvent être récoltées, frites et consommées. Les fleurs fertilisées deviennent des fruits à la peau verte et à la pulpe sucrée et riche en vitamines (Figure 1). Pendant la saison des pluies, les fruits mûrs tombent au sol et se récoltent facilement. La graine ou la noix interne a un revêtement extérieur lisse, fin et brun qui protège le noyau nutritif (Figure 2).
Un seul arbre produit généralement de 15 à 20 kg de fruits; ensemble, les noix à l'intérieur de ces fruits pèsent environ 3 à 4 kg et contiennent 1,5 à 2 kg de matières grasses (NRC 2006).
Les noix peuvent être consommées fraîches ou grillées comme des amandes. Elles peuvent également être traitées pour extraire le beurre, bien que les méthodes traditionnelles d'extraction du beurre (détaillées ci-dessous) ne fournissent qu'environ la moitié des matières grasses disponibles. Le beurre de karité est riche en vitamines D, E et K et constitue une bonne source de calcium et de potassium (Maranz et al. 2004). Le profil en acides gras mono-insaturés du beurre de karité est similaire aux huiles d’olive et de canola et est séparé des graisses saturées dans de nombreuses confiseries. Lorsqu'elle n'est pas séparée, la teneur en graisses saturées la maintient solide à la température ambiante. Le beurre de karité a une longue durée de conservation et est couramment utilisé dans les villages pour la friture, la cuisson au four et dans les sauces.
Le traitement du beurre
Extraire l'huile comestible des noix de karité est un processus long et ardu. Premièrement, les fruits sont récoltés sous les arbres. La pulpe est soit consommée, soit enlevée par fermentation. On nettoie les noix, puis on les bout assez longtemps pour empêcher la germination. Elles sont ensuite grillées (Figure 3) ou séchées au soleil pendant 5 à 10 jours. À ce stade, les graines séchées peuvent être vendues ou stockées pour un traitement ultérieur. La plupart du karité exporté est vendu sous forme de noix séchées et l'huile est extraite industriellement. Le vendre à ce stade est logique pour les petits agriculteurs, car c'est à une période de forte activité du cycle agricole durant laquelle la main-d'œuvre est réduite. C’est également une période où les denrées stockées diminuent et où la plupart des ménages doivent acheter de la nourriture sur les marchés locaux.
Les graines conservées pour être transformées en beurre au niveau du village sont cassées (Figure 4) et les coquilles sont enlevées à la main. Les noyaux sont ensuite séchés au soleil. Après séchage, les noyaux sont broyés pour obtenir une pâte à l’aide d’un mortier et d’un pilon. La pâte est bouillie dans de l'eau (Figure 5) et barattée pour séparer les huiles et les graisses (Figure 6), qui flottent à la surface et sont écrémées à la surface. Cette étape est répétée jusqu’à trois fois de plus pour davantage nettoyer et raffiner le beurre; plus le beurre est pur, plus le prix auquel il peut être vendu est élevé. Ces dernières étapes nécessitent beaucoup de bois de chauffe et d'eau, ce qui représente des investissements importants en temps et en énergie. Le retour sur investissement est maigre, ce qui pose un problème quant aux initiatives de développement; les revenus des ménages ruraux doivent être soupesés par rapport à la charge de travail accrue des femmes déjà débordées, et par rapport au potentiel de déforestation et de dégradation des sols résultant de la demande en combustible.
Culture d'exportation
Depuis plus d'un siècle, le beurre de karité est exporté vers l'Europe et utilisé comme ingrédient dans le chocolat et comme substitut du beurre de cacao. Tant le beurre de karité que le beurre de cacao sont ajoutés aux bonbons pour leur conférer de la texture, et comme stabilisants. Cependant, la popularité et la reconnaissance actuelles du beurre de karité sont dues à ses qualités hydratantes et à son utilisation dans les cosmétiques de haute qualité et dans les produits de soin des cheveux et de la peau. Ces utilisations font du beurre de karité l’une des rares cultures commerciales en provenance de la région du Sahel. La transformation des noix de karité en beurre est traditionnellement effectuée par les femmes, et le beurre de karité constitue la principale source de revenus pour nombreuses d'entre elles.
La demande en beurre de karité de haute qualité de la part des industries de produits cosmétiques et corporels a entraîné une augmentation relative des prix des produits de base. Les prix élevés incitent les agences de développement internationales et les organisations de commerce équitable à collaborer avec les femmes rurales pour créer des initiatives de lutte contre la pauvreté fondées sur cette ancienne industrie artisanale. La région du Sahel a cruellement besoin de moyens de subsistance durables et de revenus diversifiés. Il est donc logique de fonder les stratégies de moyens de subsistance sur une plante commune et précieuse qui a une longue histoire d'utilisation durable. Mais comme pour tous les projets de développement, des conséquences imprévues et des pièges potentiels peuvent en résulter. La dégradation des sols résultant de la collecte de bois de chauffe et de la surexploitation de ressources en eau rares sera abordée ci-dessous.
Collaboration et technologies alternatives dans la chaîne de valeur
Pour tirer un revenu viable du beurre de karité, les producteurs ruraux doivent ajouter de la valeur à leur produit et en recevoir le prix le plus élevé possible. Cela nécessite une mécanisation peu coûteuse de l'extraction et de la filtration de l’huile. Cela nécessite également d’éliminer les intermédiaires (acheteurs et transporteurs locaux de noix) et de négocier plutôt des ventes directes et équitables avec des industries haut de gamme. Une des raisons pour lesquelles les femmes sahéliennes tirent si peu d’argent de la vente de noix de karité est qu’elles vendent toutes en même temps et n’ont aucun pouvoir de négociation avec les grossistes.
Des programmes de développement innovants organisent des coopératives de productrices capables de commercialiser les noix directement auprès de sociétés de cosmétiques étrangères. Ces arrangements incluent souvent un paiement anticipé ou un crédit, de sorte que le revenu est disponible au moment où il est le plus nécessaire. Une partie des revenus peut être utilisée pour investir dans du matériel de transformation commun.
Beaucoup peut être fait pour réduire le travail nécessaire au traitement des noix de karité et pour améliorer le produit final. Les armoires de séchage solaire sèchent les noix de manière plus fiable et plus rapide qu’en les exposants simplement au soleil. Les pressoirs utilisant une vis tournée, un effet de levier ou un vérin hydraulique peuvent extraire la graisse et l'huile des noix plus efficacement que par ébullition (Figure 7), ce qui permet de gagner du temps et d'éviter la collecte de bois de chauffe et d'eau. Les tamis mécaniques et les filtres peuvent nettoyer l'huile chauffée plus rapidement que les rinçages répétés (Figure 8), ce qui permet également d'économiser de l'eau. La graisse extraite peut ensuite être refroidie dans des moules selon les spécifications de l'acheteur (Figure 9). Les coopératives de producteurs, s’appuyant sur la tradition des projets de travail en groupe, peuvent renforcer le contrôle de la qualité, la fiabilité et le renforcement des marchés.
Pour maintenir ou accroître les exportations de karité, les groupes de femmes vulnérables doivent être protégés des fluctuations des prix internationaux des produits de base. La volatilité des marchés a eu des conséquences désastreuses sur les marchés du café, du cacao et de l’huile de palme, et ce sont les producteurs primaires qui ont le plus souffert. Une stratégie de contrôle des fluctuations de prix a été tentée au Burkina Faso; un centre de commercialisation de l’Etat appelé Centre de stabilisation des prix des produits agricoles (CSPPA) garantissait un prix de base pour les noix. Le CSPPA a été fermé en 1994, mais un conseil régional du marché pourrait être viable à ce stade en raison de la demande accrue d’exportations et des efforts déployés par l’Union africaine pour établir des blocs commerciaux régionaux. Un autre moyen d'améliorer les revenus et les opportunités d'investissement consiste à augmenter les processus à valeur ajoutée au niveau du village. Pour parvenir à la résilience et à la durabilité, les communautés doivent réduire leur dépendance aux revenus des cultures d'exportation – les initiatives de développement devraient donc se concentrer sur la diversification des cultures et des revenus.
Autres obstacles
Certains problèmes rencontrés dans la production du beurre de karité sont inhérents à l’arbre à karité sauvage. Tout d'abord, l’arbre pousse lentement. Deuxièmement, l’arbre à karité a tendance à avoir un «port irrégulier», ce qui entraîne généralement une récolte importante et deux récoltes réduites sur une période de trois ans. Le troisième problème découle du faible taux de pollinisation des fleurs de l’arbre à karité, qui peut chuter à aussi peu que 10%. Le quatrième problème découle de quatre types de gui parasitaire (Tapinanthus spp.) qui affaiblissent et parfois tuent l’arbre à karité dans une grande partie de leur aire de répartition naturelle (NRC 2006).
L’arbre à karité n’a pas été reproduit de manière sélective pour obtenir des fruits plus gros, une plus forte teneur en huile, une production plus régulière, une meilleure viabilité des fleurs ou une meilleure résistance aux parasites. Comme l’arbre se reproduit naturellement, les agriculteurs se retrouvent avec des plants dont la génétique et les caractéristiques varient grandement. Malgré la rentabilité du beurre de karité, peu de choses ont été faites pour créer des cultivars supérieurs qui pourraient être reproduits de manière végétative et gérés activement. L’un des rares efforts de recherche est celui de l’Institut de recherche sur le cacao du Ghana, qui cherche des moyens de maintenir des sources fiables de substituts du beurre de cacao. Une gestion de base pour lutter contre l'infestation par le gui peut devenir nécessaire pour maintenir la production de beurre de karité aux niveaux actuels. Cela nécessite de grimper aux grands arbres et de couper les branches infectées, ce qui est très dangereux. L'augmentation de la production, que ce soit pour la sécurité alimentaire ou pour les revenus d'exportation, nécessitera une gestion plus intensive et une transformation plus efficace.
En ce qui concerne l'augmentation de la production commerciale de l’arbre à karité, plusieurs autres obstacles potentiels existent. L’un est l’absence fréquente de régime foncier et de droit d’accès aux arbres pour les femmes. Un autre est la possibilité d'un conflit au niveau du village autour de cette ressource de plus en plus précieuse (Elias et Carney 2005). Enfin, la plantation d'un plus grand nombre d'arbres à karité entraîne un coût d'opportunité. Les arbres pourraient entrer en concurrence avec des cultures de sorgho, de mil et de sésame; l’arbre à karité réduit les rendements céréaliers de 50 à 70% en moyenne dans son voisinage immédiat en raison de la compétition pour la lumière et les éléments nutritifs, contrairement à certaines espèces d'arbres fixant l'azote qui améliorent les rendements lorsqu'ils sont cultivés comme plantes compagnes (Kessler 1992).
Conclusion
Le Sahel connaît un risque accru de famine, de pénurie d’eau et de dégradation de l’environnement en raison du défrichement et des mauvaises pratiques agricoles. Dans le même temps, nous avons constaté des tendances mondiales en matière de produits naturels de haute qualité, de réseaux de commerce équitable et d’appui des ONG pour un développement économique équitable des femmes. Ces réalités combinées tendent à indiquer que les initiatives de promotion du karité vont s'accélérer (Elias et Carney 2005). Si elle est bien menée avec soin, la promotion des noix de karité pourrait être une stratégie gagnante pour la réduction de la pauvreté, la sécurité alimentaire et la restauration des paysages. L'augmentation de la production du beurre de karité pourrait être une pièce essentielle du puzzle pour promouvoir la stabilité et la sécurité dans un pays en pénurie.
Références
Elias, M., et J. Carney. 2005. “«Shea Butter, Globalization, and Women of Burkina Faso. [Le beurre de karité, la mondialisation et les femmes du Burkina Faso].».Dans A Companion to Feminist Geography [Un compagnon de la géographie féministe], publié sous la direction de Lise Nelson et Joni Seager. Blackwell Publishing Ltd.
Kessler, J.J. 1992. «The Influence of Karité (Vitellaria paradoxa) and Néré (Parkia biglobosa) Trees on Sorghum Production in Burkina Faso [L'influence de l’arbre à karité (Vitellaria paradoxa) et du néré (Parkia biglobosa) sur la production de sorgho au Burkina Faso]». Agroforestry Systems 17 (2). Kluwer Academic Publishers:97–118.
Maranz, S., W. Kpikpi, Z. Wiesman, A. De Saint Sauveur, et B. Chapagain. 2004. «Nutritional Values and Indigenous Preferences for Shea Fruits (Vitellaria paradoxa C.F. Gaertn. F.) in African Agroforestry Parklands [Valeurs nutritionnelles et préférences des autochtones pour les fruits de karité (Vitellaria paradoxa C.F. Gaertn. F.) dans les parcs agroforestiers africains].» Economic Botany 58(4):588–600.
NRC. 2006. «Shea [Le karité].» Dans Lost Crops of Africa: Volume II: Vegetables [Cultures perdues d'Afrique: Volume II: Légumes]. Washington, DC: The National Academies Press.
Lectures complémentaires
Chalfin, B. 2004. Shea Butter Republic: State Power, Global Markets, and the Making of an Indigenous Commodity [République du beurre de karité: pouvoir de l'État, marchés mondiaux et fabrication d'un produit autochtone]. Routledge.
Naughton, C.C., T.F. Deubel, et J.R. Mihelcic. 2017. «Household Food Security, Economic Empowerment, and the Social Capital of Women’s Shea Butter Production in Mali [Sécurité alimentaire des ménages, autonomisation économique et capital social de la production féminine du beurre de karité au Mali].» Food Security 9 (4):773–84.
Tom-Dery, D., F. Eller, C. Reisdorff, et K. Jensen. 2018. «Shea (Vitellaria paradoxa C. F. Gaertn.) at the Crossroads: Current Knowledge and Research Gaps [Le karité (Vitellaria paradoxa C. F. Gaertn.) à la croisée des chemins: connaissances actuelles et lacunes en matière de recherche].» Agroforestry Systems, 92(5):1353–1371.
International Union for Conservation of Nature. 2018. «Decisions have consequences: Contrasting stories of shea butter & community conservation in Ghana [Les décisions ont des conséquences: histoires contrastées du beurre de karité et de la conservation communautaire au Ghana]. »
(Cet article décrit deux villages du nord du Ghana qui ont emprunté des voies différentes de développement économique.)
Citer comme suit:
Fifer, G. 2018. Le karité. Notes de développement de ECHO no 141