La pisciculture peut générer un grand intérêt et un grand enthousiasme. Elle a un grand potentiel pour produire des protéines de haute qualité dans des délais relativement courts et dans de petites zones. La pisciculture est un moyen pour les agriculteurs pauvres en ressources à travers le monde d’obtenir des protéines qui sont trop coûteuses à l’achat et font souvent défaut dans l’alimentation de la famille.
Cette section traite de l’élevage du tilapia dans les étangs parce le tilapia est le deuxième type de poisson le plus couramment élevé dans le monde [la carpe est le type le plus courant] et est approprié pour les agriculteurs pauvres en ressources dans les zones tropicales.
Ces informations sont également destinées aux personnes travaillant dans les zones rurales avec des agriculteurs pauvres en ressources dans des zones à faible revenu. Espérons que cela pourra aider à la planification et à la mise en place de projets de pisciculture.
Les principes fondamentaux pour la pisciculture sont présentés ici, avec des recommandations et des conseils pour la mise en place de projets. Plusieurs études de cas, des témoignages et des exemples de l’Afrique sont utilisées comme illustrations. Les références sont indiquées pour des informations plus détaillées. Il y a beaucoup de bons manuels « sur le comment faire » écrits sur l’élevage de poissons qui peuvent être accessibles comme ressources supplémentaires (voir la section « Références utiles » à la fin de cette section).
La pisciculture en un mot
La pisciculture est l’élevage des poissons dans des étangs, des réservoirs, des enclos, des cages ou des passes à poissons. Habituellement, le but est de faire croître le poisson le plus rapidement et le plus économiquement possible à une taille exploitable. Certains des facteurs que les producteurs manipulent pour influencer le taux de croissance incluent l’environnement de l’étang, le type et la densité des poissons, la nourriture, l’engrais, la qualité de l’eau, et la période de croissance.
La pisciculture n’est pas nouvelle. Les gens élèvent des poissons depuis des milliers d’années. Dans certaines régions, les producteurs sont expérimentés et les techniques sont très développées, dans d’autres, la pisciculture ne fait que commencer. Au cours des 30 dernières années, il y a eu une augmentation spectaculaire de la production piscicole de poissons, en particulier dans les pays asiatiques(Figs 1 et 2).
Cette augmentation s’explique en partie par l’épuisement du stock et des récoltes naturels de poissons provenant de la pêche dans l’eau douce et les océans. Une deuxième raison est la promotion accrue de la pisciculture comme un moyen pour les agriculteurs à faible revenu d’améliorer leur nutrition et leurs possibilités économiques. Bien que l’offre de poisson décroisse, la demande continue d’augmenter. La pisciculture est en train de combler le déficit de l’offre mondiale de poisson.
Le tilapia
Le tilapia est un poisson fréquemment élevé à travers le monde, qui occupe le deuxième rang juste après la carpe. Selon Fitzsimmons et Naim (2010), plus de 3 millions de tonnes de tilapia ont été élevés en 2009 .
Les tilapias se développent dans les zones tropicales chaudes. Ils constituent un bon poisson d’élevage pour les agriculteurs pauvres en ressources parce que :
- Ils sont faciles à élever
- Ils sont de croissance rapide et sont savoureux
- Ils sont capables de se nourrir de nombreux types d’aliments, et sont au bas de la chaîne alimentaire
- Ils ont une forte résistance aux maladies
- Ils sont capables de se reproduire facilement
- Ils sont robustes et peuvent tolérer des conditions de mauvaise qualité de l’eau
Il y a plus de 100 espèces différentes de tilapia, chacune avec des caractéristiques, un comportement et une aptitude uniques à la pisciculture. Quelques-unes des espèces les plus couramment élevées sont le tilapia du Nil (Oreochromis niloticus), le tilapia bleu (O. aureus), le tilapia du Mozambique (O. mossambicus), le tilapia au ventre rouge (Tilapia zillii), et le tilapia à poitrine rousse (T. rendalli). Une bonne description de chaque espèce peut être trouvée dans Balarin (1979) et Bocek (ND).
Les étangs : choix du site et conception
Les tilapias peuvent être élevés dans des étangs, des pistes en ciment et des citernes, des cages et des enclos. Le champ d’application du présent article porte sur les étangs en terre parce qu’ils sont les plus fréquents, les moins chers, et comportent généralement le moins de risques, ce qui les rend appropriés pour les producteurs pauvres en ressources.
La construction d’un bassin en terre requiert une forte main-d’œuvre si on utilise des pelles, des pioches et des houes. C’est de cette manière que la plupart des producteurs des pays tropicaux construisent leurs étangs. Le temps nécessaire pour construire un étang varie en fonction du modèle de l’étang, des conditions spécifiques, et du nombre de personnes qui le construisent. Généralement, un étang de 10 x 15 m peut être achevé en 3-4 semaines. Il coûte peu aux producteurs exceptés le temps et la main-d’œuvre. Pourtant s’il est correctement construit et entretenu, un étang peut être utilisé pendant de nombreuses années.
Paramètres de sélection du site
il est important de choisir un site approprié avant de commencer à construire des étangs. Une attention doit être accordée à l’approvisionnement en eau, au type de sol, à la topographie, et à l’emplacement.
- L’Eau. Une source d’eau fiable pendant la saison de croissance des poissons est nécessaire. L’eau peut provenir des sources, du ruissellement, des rivières, ou des nappes d’eau souterraines. L’eau contaminée par des polluants n’est pas appropriée, car elle peut causer des problèmes de santé pour les poissons et les humains.
- Le sol. Un sol contenant plus de 10% à 15 % d’argile est souhaitable pour maintenir l’eau dans les étangs et prévenir l’infiltration. Évitez les sols sableux, car ceux-ci permettent des taux élevés d’infiltration.
- Le climat. Les tilapias se développent dans de l’eau chaude de 25°C-30°C, une temperature que l’on trouve habituellement dans les régions tropicales à basse altitude. La croissance et la reproduction des poissons sont plus lentes à des températures plus froides. Les étangs doivent être situés en plein soleil pour recevoir le chauffage solaire maximal et la croissance du plancton.
- La topographie. La topographie en pente douce est idéale pour les étangs de poissons, car elle permet l’égouttage. Les étangs peuvent être construits dans des zones plates ou vallonnées, mais la construction peut être plus difficile. Évitez les zones basses où les étangs ne peuvent être drainés ou sont sensibles aux inondations ou à des dommages lors de fortes pluies.
- L’emplacement. L’emplacement optimal pour un étang se trouve à proximité de la maison du propriétaire, ce qui rend plus facile sa gestion et sa protection contre le vol et les prédateurs.
Conception et construction d’un étang
Bien que la construction d’un étang peut sembler simple, il existe une bonne et une mauvaise manière d’en construire un. Un étang mal construit peut avoir des fuites, un barrage moins solide et sensible à la casse, et peut potentiellement présenter de nombreux autres problèmes. Etant donné qu’un étang peut être utilisé pour de nombreuses années, prenez le temps et faites des efforts pour le construire correctement.
Les étangs rectangulaires sont plus faciles à construire que les étangs carrés ou de forme irrégulière. Les étangs devraient être construits de manière à ce que chacun d’entre eux puisse être rempli et vidé indépendamment des autres étangs (Figures 3 et 4). Le drainage total est avantageux pour prévenir le retard de croissance et les maladies.
Une série d’étangs (200-300m2 chacun) sont préférables à un grand étang. De cette façon, les producteurs peuvent échelonner le calendrier de peuplement et de la récolte des différents bassins, permettant un approvisionnement en poissons sur toute l’année.
La profondeur souhaitable pour les étangs de tilapia est d’au moins 1 m (4pi ou à la profondeur de la taille) dans la partie profonde et de 30 cm dans la partie peu profonde. Le fond de l’étang doit être incliné pour permettre un drainage total (Figure 5). Les étangs plus profonds, qui auraient une plus grande réserve d’eau, peuvent être utiles dans les régions où l’approvisionnement en eau est peu fiable.
Il y a beaucoup de livres écrits sur la façon de construire des étangs. Reportez-vous à la section « Références utiles » pour des exemples. Certains des points les plus important à garder à l’esprit lors de la construction sont :
- Tassez régulièrement le sol lors de la construction des barrages d’étang
- Penchez les murs de l’étang à au moins 2 : 1 (Fig 6).
- Penchez le fond de l’étang (Fig 5).
- Ne placez pas des pierres, des bâtons ou de la matière organique dans le barrage.
- Construisez la partie du barrage à au moins 30 cm au-dessus du niveau de l’eau de l’étang.
- Installez un grillage au niveau de l’entrée et de la sortie pour empêcher les poissons sauvages d’entrer et le tilapia de s’échapper.
Gestion de l’étang
Construire un étang est un travail difficile qui prend un temps relativement court. La gestion de l’étang est plus facile, mais dure aussi longtemps que les poissons y sont élevés. Un étang mal construit mais bien géré peut être productif, mais un étang bien construit mais mal géré ne sera pas productif. Une bonne gestion est essentielle pour élever des poissons avec succès. Insistez sur une bonne gestion de l’étang avec les producteurs. Ils ont besoin d’entendre ce message fort et clair, et à plusieurs reprises. Parfois, les gens pensent que parce que le poisson peut se débrouiller dans la nature, il devrait être en mesure de faire de même dans un étang aussi. Pas du tout ! C’est seulement par une bonne gestion que l’étang peut fournir aux producteurs des récoltes satisfaisantes. Encore une fois, c’est une bonne idée de souligner qu’une bonne gestion signifie de bons résultats.
Les nouveaux producteurs doivent être surveillés fréquemment pendant la construction de l’étang et à leur première récolte. Il s’agit d’encourager et conseiller les producteurs dans les premiers stades. L’intérêt de l’étang est souvent proportionnel à la fréquence des visites du projet par le personnel de vulgarisation et les agents du projet. Habituellement, plus l’intérêt est grand, plus grande sera la gestion. L’inverse est vrai avec des visites rares.
Fréquence des visites d'extension affectant les résultats de la pisciculture(↓) fréquence des visites d'extension → (↓) intérêt pour la pisciculture → (↓) gestion de l'étang → (↓) production de l'étang → découragement → abandon de l'étang |
Peuplement
Une fois qu’un étang est terminé et conforme aux normes du projet, peuplez-le avec des poissons dès que possible. Un étang rempli sans poisson est une zone de reproduction pour les moustiques. En outre, il est décourageant pour les producteurs de devoir attendre longtemps pour le peuplement.
Les taux de peuplement recommandés sont de un à trois alevins par mètre carré de surface d’étang. Choisissez des races pures d’alevins de bonne qualité, de 5-7 cm de longueur. Une espèce fortement recommandée est le tilapia du Nil. Évitez les espèces de poissons rabougris ou mixtes. Renseignez-vous sur les emplacements des races fiables de peuplement de poissons.
Les tilapias se reproduisent facilement et rapidement. Une fois qu’un projet est mis en place, les producteurs du projet peuvent fournir du poisson pour le peuplement de nouveaux étangs et le repeuplement des étangs existants. Les producteurs qui pratiquent une bonne gestion de l’étang devraient être la source préférée. Des producteurs sélectionnés peuvent être invités à lancer de petits incubateurs au village pour assurer un bon approvisionnement en alevins de qualité pour le peuplement. Les producteurs commençant des incubateurs de village ont besoin de formation spécialisée supplémentaire (référez-vous au contenu « Incubateurs de Village » dans la section suivante).
La fertilisation et l’alimentation
Les poissons, comme tous les animaux, ont besoin de nourriture pour grandir. Les producteurs peuvent fournir de la nourriture pour le tilapia de deux façons : par l’alimentation supplémentaire et par la fertilisation de l’eau. Il est plus productif d’utiliser les deux méthodes. La nourriture sous forme de plancton peut être stimulée à croître en ajoutant du fumier et du compost à l’étang. Il s’agit d’une méthode d’alimentation peu coûteuse, et le plancton est nécessaire pour les petits poissons qui sont trop petits pour manger des aliments complémentaires. L’eau du bassin deviendra une riche couleur verte ou rougeâtre quand le plancton devient abondant. Cela signifie que la nourriture sera disponible pour les poissons. Les étangs clairs ne sont pas fertiles et manquent de plancton.
L’autre façon de nourrir les poissons est de fournir de la nourriture supplémentaire directement dans l’étang. Les tilapias peuvent manger de nombreux types d’aliments. Certains aliments courants sont le son de riz, les balayures de minoterie, les termites, les restes de table, le son de maïs et beaucoup de feuilles vertes. Alimentez les poissons deux fois par jour, en leur donnant seulement la quantité qu’ils peuvent consommer en deux heures de temps. L’excès d’aliments dans l’étang conduit à la détérioration de la nourriture et à l’encrassement de l’eau, ce qui peut entraîner une réduction de l’oxygène et la mort des poissons.
L’entretien de l’étang
Il faut conseiller aux producteurs de visiter leurs étangs chaque jour pour alimentez leurs poissons et de vérifier les poissons et l’étang. Ce qui suit traduit quelques-unes des tâches à effectuer en fonction des besoins :
- Nettoyer l’entrée et la sortie pour enlever les débris qui peuvent obstruer et empêcher le mouvement de l’eau.
- Remettre de l’eau pour maintenir le niveau désiré.
- Observer les poissons pour s’assurer qu’ils se comportent normalement.
- Rechercher des signes de prédation et de vol telles que des empreintes, des excréments, de l’eau boueuse, etc.
- Rechercher des infiltrations ou des dommages au barrage.
- Enlever les mauvaises herbes de l’étang.
- Couper l’herbe sur les berges de l’étang.
- Ajouter du fumier ou du compost pour fertiliser les haies de compost.
Récolte
Le Tilapia peut se développer rapidement dans les étangs bien gérés. Les producteurs peuvent commencer à récolter des poissons 3-4 mois après le peuplement. Ils peuvent le faire en effectuant des collectes partielles avec des filets (Figure. 8), la pêche à la ligne, ou par des pièges, gardant à chaque fois les plus gros poissons et remettant les plus petits dans l’étang. Des récoltes partielles peuvent être effectuées chaque semaine ou deux. Il est encourageant pour les producteurs de voir la croissance de leurs poissons et de pouvoir en manger quelques uns.
Après 6 à 12 mois (selon la température), il est indispensable de procéder à une récolte finale dans laquelle l’eau est évacuée de l’étang, tous les poissons sont récoltés, et l’étang est séché pendant 2 semaines. L’assèchement de l’étang va tuer les alevins de poissons (jeunes petits poissons) et les œufs et éviter la surpopulation, ce qui conduit à un retard de croissance. Ensuite les producteurs remplissent l’étang et le repeuplent suivant le taux de peuplement recommandé.
Pendant la récolte, les alevins destinés au repeuplement peuvent être déplacés vers un petit étang de retenue, le temps de faire la récolte dans l’étang, de l’égoutter et de le sécher. Une autre option pour le repeuplement est de capturer des alevins d’un autre étang.
Production
Dans les régions chaudes et dans des conditions de bonne gestion, les producteurs peuvent s’attendre à produire entre 30 et 50 kg de poisson par 100 m2 tous les 6 mois (Tableau 1). Cela signifie qu’une famille ayant six étangs de 200 m2 peut produire entre 720 à 1200 kg de poisson par an. Cela peut avoir un impact significatif sur l’alimentation, la santé et le revenu de la famille.
Tableau 1:Niveau de production prévu de tilapia dans les zones froides et chaudes. |
|
Zones chaudes de basse altitude | Zones froides de haute altitude |
60-100 kg/100 m2/an |
30-60 kg/100 m2/an |
Les incubateurs de Village
Un peuplement de poissons de bonne qualité est un facteur important dans la réalisation d’une grande production. Les producteurs qui élèvent des tilapias dans les projets de village obtiennent des alevins chez d’autres producteurs ou de leurs propres étangs pour le peuplement. Au fil du temps, cela peut entraîner une qualité inférieure des peuplements de poissons, parce que les agriculteurs récoltent généralement les plus gros poissons pour la consommation et la vente, et remettent les poissons les plus petits pour leur donner une chance de grandir. Cela donne plus de chances aux poissons les plus petits et ceux à croissance plus lente de se reproduire que les plus grands et ceux à croissance rapide. De manière involontaire, ils choisissent un peuplement de qualité inférieure.
D’autres problèmes liés à l’obtention de peuplement à partir des étangs d’autres producteurs sont les possibilités de retard de croissance, le croisement de poissons de même race, et des espèces mixtes— si les producteurs n’entretiennent pas bien les étangs et ne drainent ni n’assèchent l’étang régulièrement.
L’utilisation d’un peuplement de poissons de mauvaise qualité peut entraver la croissance et la production des poissons. Il est conseillé d’obtenir un peuplement de haute qualité à partir de producteurs fiables ou à partir d’incubateurs publics ou privés. Cependant, il est souvent difficile et coûteux pour les producteurs villageois d’acheter et de transporter des alevins provenant d’incubateurs, en particulier s’ils sont situés loin de leurs étangs.
Une façon d’éviter ces problèmes est d’encourager et former les producteurs à démarrer et exploiter un petit incubateur de village (Figure. 9). Ils peuvent fournir des alevins de bonne qualité pour le peuplement en ayant plusieurs étangs de reproduction et des étangs d’alevinage. Ils choisissent les poissons à croissance rapide et qui sont les plus grands (généralement 100-200 g de poids) pour la reproduction. Ceux-ci sont placés dans un étang d’élevage à un rapport male-femelle de 1 : 5. Après l’élevage et la production d’alevins, les couveuses sont séparées de la progéniture. Les alevins sont déplacés vers les étangs d’alevinage pour croître jusqu’à ce qu’ils atteignent la taille pour le peuplement, et sont ensuite vendus.
Reportez-vous à Nandlal et Pickerling (2004) pour plus d'informations sur la gestion des couvoirs.
Les leçons apprises
Trop souvent, les initiatives ou projets de développement qui paraissent connaitre du succès dans les premiers stades s’arrêtent après les phases d’intervention externe dans le projet. Les projets de pisciculture ne sont pas exempts de ce sort. Les leçons tirées des projets qui ont échoué peuvent améliorer la possibilité de la durabilité du projet. La durabilité du projet se réfère ici à la poursuite de l’activité (élevage de poissons) et pas nécessairement au projet de développement. Certaines de ces leçons sont les suivantes :
Gardez-le simple
Efforcez-vous de garder le projet et les techniques simples, peu coûteuses et reproductibles avec le moins de dépendance de l’aide extérieure que possible. Utiliser des matériaux et des ressources locales, et sélectionner les espèces de poissons qui sont faciles à élever. Il peut en résulter une production plus faible, mais le risque pour les producteurs sera moindre et la technologie sera plus applicable.
Les agents de développement sont souvent attirés par des techniques et des ressources plus sophistiquées dans leurs efforts de réaliser une production maximale. Gardez à l’esprit qu’une production plus élevée est souvent accompagnée de risques et d’investissements plus grands, une participation moins répandue de la part des producteurs pauvres en ressources, et moins de durabilité.
Promouvoir l’autonomie
L’accent au niveau des projets devrait être mis sur ce que peuvent faire les producteurs, pas ce que le projet peut faire pour eux. Soyez prudent à offrir une assistance jusqu’à ce que toutes les ressources et les initiatives locales aient été essayées et ne répondent plus. Ne demandez pas « comment puis-je aider ? » , mais « comment vous agriculteurs, pouvez-vous faire ceci ? »
Cette approche va développer l’autonomie et une « attitude de savoir-faire » , et éviter le syndrome de dépendance trop courant dans les projets de développement. Soyez clairs dès le début que les projets ne fournissent qu’une assistance technique et toute ressource manquante (par exemple, des peuplements de poissons), mais pas la charité. Bien que difficile, le fait de donner le ton dès le début conduira à une plus grande autonomie plus tard.
Encourager des attentes réalistes
Avant de pratiquer la pisciculture, les producteurs peuvent avoir des attentes irréalistes des résultats (c’est-à-dire la rentabilité et la productivité) qu’ils peuvent atteindre avec la pisciculture. Au cours des réunions et des discussions préparatoires avec les producteurs intéressés, donnez des informations précises sur la quantité de travail, le capital et les ressources nécessaires. Faites-leur savoir à quoi s’attendre en termes de rentabilité, de productivité et des problèmes communs à résoudre. Des attentes irréalistes peuvent conduire à la déception de la part des producteurs et une perte d’intérêt pour l’activité.
Solliciter la participation à tous les niveaux
Plus la participation est grande et étendue, et mieux ça vaut. Comme dans toutes les activités de la vie, plus nous sommes investis dans quelque chose— notre temps, notre argent, notre enthousiasme et notre espoir— plus nous y travaillons dur. Il en est ainsi des projets de pisciculture.
Récherchez la participation au projet à autant de niveaux que possible : les familles, la communauté, le gouvernement et les chefs religieux locaux, les travailleurs communautaires, les agents gouvernementaux, etc. Plus il y a d’acteurs impliqués dans le projet, et mieux ça vaut.
Évitez d’avoir des producteurs élevant des poissons dans l’isolement. Il est préférable d’avoir des groupes de producteurs qui peuvent élever leurs poissons individuellement mais qui travaillent ensemble dans la construction des étangs, la récolte, la commercialisation, l’achat de matériel, l’échange d’idées, l’obtention de prêts, et le lobbying.
Promouvoir la formation et le renforcement des capacités
Je ne peux pas m’empêcher citer ce proverbe chinois très répandu, car il est si pertinent et profond dans ce cas de Figure : « Si vous donnez aux gens des poissons, ils auront de la nourriture pour une journée. Si vous leur apprennez à pêcher, ils auront de la nourriture pour toute leur vie. »
Renforcer les capacités, renforcer les capacités, et renforcer davantage les capacités— et pourtant ce ne sera probablement toujours pas suffisant. Enseignez aux producteurs tout ce qu’ils doivent savoir sur l’élevage des poissons ; former certains producteurs à former d’autres ; formez les producteurs sur la gestion d’une écloserie ; formez les groupements de producteurs en gestion et en leadership ; formez les dirigeants communautaires sur comment soutenir les producteurs ; formez les agents de vulgarisation sur la pisciculture lorsqu’il leur manque certaines compétences techniques et d’extension ; et formez les agents du projet.
Ce type de renforcement des capacités nécessite de l’argent et du temps, mais il vaut le coup d’y investir. Il améliore les chances de pérennité et de succès du projet. L’investissement dans les personnes et dans les compétences aura un effet d’entraînement sur d’autres projets.
Rappelez-vous que ce qui est petit est beau
E.F. Schumacher a écrit un livre intitulé Small is Beautiful, et c’est effectivement une réalité au niveau des projets de développement. Maintenez les projets sur une échelle qui soit gérable afin que la qualité puisse être maintenue. Lorsque de bons résultats sont obtenus dans un projet, on a tendance à faire une extension (géographiquement, numériquement, et dans les activités). S’il est élargi trop vite, le projet peut sombrer, conduisant à des résultats décevants. Allez-y lentement mais fermement, en faisant attention à ne pas dépasser la capacité du projet. Focalisez-vous sur les activités principales et améliorez celles-ci.
Intégrez
La pisciculture fonctionne bien lorsqu’elle est intégrée dans un système agricole. Encouragez les pisciculteurs à la combiner avec la culture maraîchère, la riziculture, l’élevage, les vergers, etc. De cette façon, les ressources et les éléments nutritifs sont recyclés dans le système d’une manière mutuellement bénéfique. En outre, de cette façon, les risques sont atténués (Figure 11).
Propagez l’idée et la technique
Lorsque les premiers pisciculteurs d’une communauté élèvent des poissons avec succès, d’autres sont souvent attirés et veulent s’y lancer. Sans une assistance technique, ils obtiendront des résultats mitigés. Bien que l’élevage du tilapia soit simple, il exige certaines connaissances et compétences. Nous avons trouvé les méthodes suivantes très efficaces pour propager l’idée :
- Des échanges et discussions d’agriculteur à agriculteur
- Des déplacements sur le terrain pour visiter les producteurs impliqués dans le projet
- Le Système de Motivation Volontaire (SMV)
Le SMV est un système dans lequel les producteurs impliqués dans le projet font la promotion de la pisciculture et apportent un soutien fondamental pour son extension dans leurs communautés et dans de nouvelles zones. Des pisciculteurs impliqués dans le projet sont choisis par leurs communautés et reçoivent une formation supplémentaire sur la pisciculture et les méthodes d’extension. Ils font la promotion de la pisciculture, fournissent des services d’appoint, et font des rapports sur les activités du projet. Ils travaillent généralement avec environ 10 producteurs chacun. Leur dévouement et leur enthousiasme peuvent être remarquables.
Voici quelques-uns des avantages de l’utilisation du SMV dans des projets de pisciculture :
- Le SMV permet une large couverture à faible coût.
- Les motivateurs sont des locaux, connaissant la culture, la langue et les gens.
- Les motivateurs sont des bénévoles et ne dépendent donc pas d’un financement extérieur « de projet » .
- Les connaissances et compétences sont entre les mains de la population locale.
Témoignage : Le pasteur Urasa a suivi un cours de formation sur la pisciculture que j’ai dispensé au Centre de Formation en Agriculture Intégré à Dareda. Pasteur luthérien humble, mais très intelligent, le pasteur Urasa est venu du nord de la Tanzanie pour en apprendre davantage sur l’élevage de poissons de sorte à pouvoir aider à le promouvoir dans son diocèse.
Au cours de la formation de deux semaines, il a travaillé dur pour comprendre les principes fondamentaux de la pisciculture. Il écoutait attentivement et étudiait beaucoup. C’était un fait rare de voir une personne si bien habillée et digne, qui soit prête à retrousser son pantalon et les manches de sa chemise pour se mettre au travail au fond d’un étang à poissons boueux. Il a pleinement participé à tout le travail pratique effectué sur le terrain au cours de la formation. Le pasteur Urasa a apporté une plus grande dimension spirituelle à la session de formation par sa direction des méditations du matin et du soir. Les participants ont apparemment beaucoup apprécié ses messages.
A la fin de la formation, il était enthousiasmé par les opportunités de pisciculture dans son diocèse. Je n’étais cependant pas sûr de ce qu’il en adviendrait. Allait-il retourner à son travail traditionnel d’église et aux nombreuses demandes de sa paroisse, et oublier ce qu’il avait appris sur l’élevage de poissons ? J’ai eu la réponse 6 semaines plus tard quand il est venu me voir à mon bureau. Il me tendit une liste de 15 paysans qui avaient creusés des étangs suivant ses instructions et qui avaient déjà payé de l’argent pour les poissons devant servir au peuplement. Ils attendaient que je leur apporte des poissons pour peupler leurs étangs.
Ils étaient les premiers à construire des étangs dans ce village. Le nom du pasteur Urasa était sur la liste aussi. Dès son retour de la formation, il avait rapporté aux paysans ce qu’il avait vu et appris au centre. Il les avait convaincus d’essayer l’élevage de poissons. Il leur avait appris à construire un étang, et il avait supervisé les travaux, en plus de la construction de son propre étang. Il y avait 15 bassins prêts et en attente d’être rempli de poissons. Il voulait que je lui donne une date à laquelle je pouvais apporter les poissons.
Deux semaines plus tard, je suis allé au village du pasteur Urasa avec assez de poissons pour approvisionner les étangs. Nous allions d’un étang à un autre, pour les peupler. Chaque étang était bien construit et les paysans étaient impatients de commencer l’élevage de poissons. À la fin de la journée j’ai commencé à remarquer certaines personnes avec des seaux qui nous suivaient d’un étang à un autre. Quand nous sommes arrivés au dernier étang et l’avons peuplé avec les poissons restants, ils se tenaient autour de nous, comme s’ils attendaient quelque chose. J’ai demandé au pasteur Urasa qui ils étaient. Il a sortit un morceau de papier de sa poche et me l’a tendu. C’était la liste de 20 autres paysans qui avaient construit des étangs au cours des 2 semaines depuis qu’il était venu à mon bureau.
Il a dit qu’ils étaient là avec leurs seaux dans l’espoir d’obtenir des poissons pour peupler leurs étangs aussi. Quand il leur a dit qu’il n’y avait pas assez de poissons pour leurs étangs ce jour-là, ils étaient déçus. Je leur ai promis de ramener plus de poissons un autre jour. J’ai vu ce jour-là à quel point les producteurs en Tanzanie peuvent être désireux et enthousiastes de faire la pisciculture quand ils sont confiants que quelqu’un comme le pasteur Urasa va les aider. Ayant construit son propre étang, les gens avaient encore plus confiance dans ce qu’il leur disait.
Les paysans de cette région ont continué à faire un excellent travail dans la gestion de l’étang et dans l’élevage de leurs poissons. J’ai été surpris de voir à quelle vitesse les poissons grandissaient et se reproduisaient dans cette zone. Le pasteur Urasa les encourageait à nourrir leurs poissons chaque jour et à mettre de l’engrais dans les étangs. Il avait bien appris les leçons qu’il avait suivies pendant la formation.
Maintenir les normes du projet
Commencez en vous appuyant sur les normes de projets approuvés de pisciculture, et respectez celles-ci— surtout la construction de l’étang, la gestion, et la récolte régulière/assèchement des étangs. N’acceptez pas de peupler les étangs mal construits ou inachevés ; il est préférable d’attendre jusqu’à ce que tous les travaux soient terminés et les normes du projet respectées. Référez-vous à la liste de vérification ci-dessous pour voir la liste des tâches à accomplir avant le peuplement des étangs.
Liste de contrôle de qualité pour le peuplement de l’étang :
|
Plus de détails concernant la gestion des étangs et la production de poisson sont résumés dans le tableau 2.
Tableau 2 : Lignes directrices récommandées pour les projets de pisciculture |
|
Paramètre | Ligne directrice |
Taille de l’étang | minimum 100 m2 ; moyenne 200 m2 |
Profondeur de l’étang | extrémité superficielle 30 cm ; Partie profonde 1 m |
Nombre de haies de compost par 100 m2 |
2 |
Nombre d’étangs par famille |
4-6 |
Espèces préferées |
Tilapia du Nil |
Taux de peuplement | 1-3 alevins (5-7 cm) par m2 de périmètre |
Fréquence d’alimentation | deux fois par jour |
Quantité de nourriture | quantité que les poissons peuvent manger en 2h |
Fréquence de fertilisation | suffisamment pour garder l’eau verdâtre/rougeâtre |
Fréquence de la récolte finale | au moins une fois par an |
Temps du drainage de l’étang après la récolte finale (avant de repeupler) | 2 semaines |
Fréquence d’ajout d’eau nouvelle | à l’étang necessaire seulement pour maintenir le niveau d’eau |
Fréquence des visites d’extension aux nouveaux producteurs | au moins une fois chaque deux semaines |
Rapport de motivateurs par groupe de producteurs | ne pas dépasser 1 : 10 |
Problèmes rencontrés
L’élevage du tilapia dans des étangs peut être relativement simple, mais parfois des problèmes peuvent se poser. Avant de commencer, les producteurs doivent être conscients des problèmes potentiels et comprendre les moyens de les prévenir et de les résoudre lorsqu’ils surgissent. Les producteurs sont très novateurs et trouvent des solutions nouvelles et créatives à ces problèmes. Le Tableau 5.9 dresse la liste des problèmes les plus couramment rencontrés dans l’élevage de poissons et propose des mesures de préventions et des solutions.
Tableau3 : Problèmes piscicoles courants et les éventuelles mesures de préventions, interventions et solutions |
|
Problème | Prévention/Solution |
Vol |
Construire l’étang près de la maison Visites fréquentes de l’étang Construire une clôture ou une margelle autour de l’étang Placer des bâtons dans l’étang pour empêcher la pêche au filet |
Oiseaux |
Garder l’étang fertile (couleur verte) Les chasser en les effrayant ou les tuer |
Loutres |
Mettre des margelles ou des clôtures autour de l’étang Les capturer Placer des bâtons dans l’étang pour ralentir les loutres |
Serpents | Tailler fréquemment l’herbe sur les berges et éviter les touffes |
Poissons |
Sauvages mettre un grillage aux entrées et sorties Les pêcher au filet |
Grenouilles |
Les pêcher au filet Enlever les têtards et les œufs Elever des canards dans l’étang |
Poissons chétifs |
Respecter le taux de peuplement Bonne gestion de l’étang Drainer l’étang et le sécher au moins une fois l’an |
Infiltration d’eau de l’étang |
Un bon choix du site et une bonne construction de l’étang Fermer les trous de termites, de taupes, etc. Ajouter du fumier et du compost au fond de l’étang et compacter le sol Continuer de remettre de l’eau jusqu’à ce que de la boue se forme et que l’infiltration diminue |
Mort de poissons |
Éviter des changements soudains et importants de températures Éviter de bas niveaux d’oxygène en évitant le surpeuplement ou la suralimentation et l’excès de fumier Ajouter de l’eau nouvelle dès que des poisons morts sont constatés dans l’étang |
Manque d’eau |
Choisir des sites ayant des sources d’eau fiables Dans les zones ayant une disponibilité saisonnière d’eau, envisager l’utilisation des étangs uniquements durant la période de disponibilité d’eau (généralement 4-6 mois est adéquat) ; ceux-ci sont des étangs saisonniers |
Risques sanitaires : Paludisme Schistosomiasis (Bilharziose) |
Le paludisme n’est pas un problème quand les étangs sont débarassés de mauvaises herbes et peuplés de poissons ; Le tilapia se nourrit des larves de moustiques Supprimer les escargots de l’étang Rendre les berges de l’étang raides Garder des poissons-chats et des canards dans l’étang ; ils se nourrissent d’escargots S’assurer que personne n’urine à proximité de ou dans l’étang. |
Etudes de cas
Les paysans du Zaïre (une histoire illustrant les habitudes de reproduction du tilapia)
Les paysans avec qui j’ai travaillé au Zaïre n’avaient pas d’expérience dans l’élevage de poissons . Ils avaient récemment construit leurs étangs et commencé à élever le tilapia. J’essayais de leur enseigner quelques rudiments de pisciculture à chaque fois que je leur rendais visite dans leurs fermes, et faisais plus ample connaissance avec eux. Ils étaient mes amis, et ils avaient confiance en moi. Il y avait seulement une leçon qu’ils ne pouvaient pas accepter. Plusieurs fois je leur ai expliqué comment les tilapias prennent soin de leurs oeufs et leurs petits. Ils couvent avec la bouche. Le mâle fait un nid dans la boue au fond de l’étang, en utilisant sa queue pour former un creux en forme de bol. Il essaie d’attirer une femelle dans son nid. S’il réussit, une femelle va venir pondre ses oeufs dans le nid. Le mâle les fertilise. La femelle prend alors les oeufs dans sa bouche et les couve pendant plusieurs semaines. Pendant ce temps, elle mange très peu.
Tandis que les œufs se développent en alevins, la mère les garde dans sa bouche. Ce n’est que quand ils sont forts et assez grands pour nager qu’elle les libère dans l’eau. Ils resteront près de la mère. Le groupe de petits alevins ressemble à un nuage sombre autour d’elle. Ils retournent de nouveau dans sa bouche quand ils sont menacés par des grenouilles, des poissons ou des insectes. En un clin d’œil les 100 à 300 alevins nagent vite pour retourner dans la bouche de la mère.
Les paysans m’écoutaient patiemment pendant que je leur expliquais les habitudes de reproduction du tilapia par la bouche. Quand j’avais fini, ils riaient et montraient ainsi clairement qu’ils n’en croyaient pas un mot.
Un jour, nous prélevions des échantillons d’un de leurs étangs, chose que j’aimais faire tous les deux mois afin que les agriculteurs puissent voir comment leurs poissons se développaient. Il est difficile de voir clairement les poissons dans l’eau de couleur verte. S’ils pouvaient échantillonner et peser les poissons, ils seraient encouragés à continuer à nourrir les poissons et à fertiliser l’étang. Nous avons utilisé une petite senne pour capturer suffisamment de poissons en vue d’obtenir un échantillon représentatif et comparer leur croissance par rapport au moment de l’échantillonnage précédent. Ils ont capturé une douzaine de poissons et les ont mis dans un seau avec de l’eau. Comme ils faisaient une autre capture au filet, j’ai remarqué un tas de petits alevins dans le seau. Une des femelles devait être en train d’essayer de proteger des alevins dans sa bouche quand elle a été prise dans le filet, et ensuite elle les avait crachés après avoir été placée dans le seau.
Je m’étais dit, « Enfin j’ai une occasion d’amener ces gars à me croire concernant les habitudes de couvaison par la bouche chez le tilapia. « Je les ai appelés tout excité, à venir se rassembler tout autour pour voir les alevins de tilapia dans le seau. Ils sont venus et puis l’un d’eux m’a demandé, « Quel est le problème ? » « J’ai répondu que cela montre ce que je tentais de leur expliquer depuis longtemps. La mère avait des alevins dans sa bouche et les avait crachés après avoir été mis dans le seau. Il a dit : » « Pas question, Dennis. Les alevins sont probablement entrés dans le seau lors du remplissage avec l’eau de l’étang. Nous ne les avions tout simplement pas remarqués jusqu’à maintenant. »
J’étais trop proche de réussir pour abandonner cependant. Je leur ai dit que je mettrais ma main dans le seau pour effrayer la mère et les alevins, et je leur ai demandé de regarder de près comment les alevins vont nager pour entrer dans la bouche de la mère. Je l’ai fait, et les alevins ont fait exactement comme je l’avais prévu. Les paysans avaient le souffle coupé de stupéfaction. Ils sont restés silencieux pendant quelques moments jusqu’à ce que l’un d’eux dise : « Wow ! Avez-vous vu à quelle vitesse ce poisson a mangé tous les alevins ? » Je me sentais frustré et sur le point d’abandonner. Je me suis dit : « allons, essayons encore une fois » J’ai mis le seau sur le côté et j’ai dit aux paysans s’en éloigner. Si les poissons se calmaient, la mère pourrait libérer les alevins de sa bouche. Effectivement, quand j’ai regardé dans le seau un court instant après, les alevins étaient en train de nager dans le seau. J’ai appelé les paysans et leur ai dit de s’approcher lentement pour jeter un coup d’œil. Enfin, ils ont cru ce que je leur avais dit concernant les habitudes de couvaison du tilapia par la bouche.
Le poisson-chat de Lucas (illustration de l’importance de la connaissance et de la formation)
La pisciculture n’est pas une nouvelle idée pour la Tanzanie. Elle a été introduite en Afrique au cours des années 1950 et 1960 par les gouvernements coloniaux. Les intentions étaient bonnes, en ce que le poisson pouvait être une bonne source de protéines pour les gens. Cependant, les méthodes utilisées étaient souvent contre-productives. Dans certains cas en effet, la pisciculture a été imposée par la force, et les villageois pouvaient être condamnés à une amende s’ils ne construisaient pas des étangs pour élever des poissons. Au Zaïre, on m’a raconté une histoire sur la façon dont des villageois construisaient de petits étangs peu profonds pour éviter les amendes et attendaient que les agents de vulgarisation leur apportent des poissons dans le village pour le peuplement. Certains villageois prenaient les poissons, rentraient directement chez eux, et les faisaient cuire pour le dîner !
En Tanzanie, elle n’a pas été imposée de force, mais souvent la pisciculture était promue sans le soutien technique et la formation nécessaires. En outre, des espèces inappropriées de poissons étaient souvent distribuées. Ces poissons étaient inéfficaces, ce qui entraînait un retard de croissance, une faible production de l’étang, et le découragement des pisciculteurs.
Une des premières personnes en Tanzanie à nous contacter pour une assistance en pisciculture fut Lucas. Il vivait dans un village à proximité de chez nous. Nous sommes allés lui rendre visite et voir son étang. Il nous a dit qu’il avait entendu parler de la pisciculture à la radio et avait construit un étang il y a plusieurs années. Il était allé à un lac, à environ 25 km et avait acheté d’un pêcheur trois poissons-chats vivants. C’était tout ce qu’il pouvait acheter ce jour-là, mais il était sûr que ce serait suffisant et qu’ils allaient bientôt se reproduire. Il les avait mis dans un seau avec de l’eau et avait pris un bus pour rentrer chez lui. Il avait ensuite porté le seau sur la tête jusqu’à son étang, à environ un mile de la route, et il avait mis les poissons dans son étang.
Durant 2 ans, il avait pris soin de ses poissons, les nourrissant chaque jour. Il les voyait de temps en temps dans l’eau et pouvait voir qu’ils croisaient. Il n’était pas sûr s’ils s’étaient reproduits parce qu’il n’avait pas vu de petits. Nous lui avons conseillé de drainer l’étang et récolter les poissons-chats et ensuite peupler avec un autre type de poisson appelé tilapia qui serait plus productif et mieux pour lui. Lucas a accepté et a creusé une ouverture dans le mur de l’étang pour faire sortir l’eau. Il a récolté trois très grands poissons-chats, mais c’était tout. Ils ne s’étaient jamais reproduits pendant les 2 ans. Lucas était très déçu, car il pensait à tous les aliments et au temps qu’il a mis dans l’étang et tout ce qu’il avait comme résultat était trois poissons. Ce que Lucas ne savait pas, c’est que les poissons-chats africains ne se reproduisent généralement pas dans les petits étangs.
Telle était la situation à laquelle nous étions confrontés lorsque nous avons commencé la promotion de la pisciculture en Tanzanie. Les paysans étaient très intéressés et étaient prêts à faire de grands efforts, mais ils savaient peu de choses sur elle et avaient peu d’expériences. Nous avons pris les choses doucement et avons travaillé avec environ 10 agriculteurs répartis dans cinq villages les 6 premiers mois. Nous leur avons appris à construire des étangs et comment élever des poissons par une plus grande et meilleure gestion de l’étang.
Mme Anderson (exemple d’un agent de changement efficace)
J’ai été invité par le village de Kikwe, à 24 km d’Arusha, pour les aider à se lancer dans l’élevage de poissons. Nous avons tenu une réunion préparatoire à laquelle 25 personnes ont participé. Je leur ai expliqué les fondements et les avantages de la pisciculture. Quand j’ai demandé combien étaient encore intéressés à s’impliquer dans le projet, les 25 ont levé la main. Nous avons choisi une date pour visiter certains paysans dans un autre village qui pratiquaient déjà la pisciculture. Quinze personnes se sont présentées pour la visite de terrain.
Je suis retourné un autre jour pour visiter les sites potentiels pour les étangs. Dix personnes se sont présentées. Nous avons mis des piquets à leurs étangs, et j’ai expliqué comment commencer à les creuser. Je suis retourné encore un autre jour pour constater que, parmi eux, cinq paysans avaient commencé à creuser. Sur les cinq, une seule a terminé son étang— Mme Anderson. Nous sommes passés de 25 participants à 15, 10, 5, et nous sommes retrouvés avec une seule personne après un processus qui a duré 3 mois.
Mme Anderson était une femme forte. Elle était âgée de 35 ans, avait cinq enfants et était une chrétienne engagée. Ce qui m’a frappé en elle était le contraste entre son visage et ses mains. Elle avait les yeux brillants, était toujours souriante, et sa voix était douce. Cela contrastait avec ses mains rugueuses et calleuses. Ses mains montraient le dur travail qu’elle avait fait et la vie difficile qu’elle avait menée.
C’était avec ces mains qu’elle attrappait la pelle pour creuser un sol dur en vue de commencer son étang. Il n’est pas facile de creuser un étang à poissons à la main, à l’aide d’une pelle et d’une pioche. Il faut travailler dur et avoir du cran. On estime qu’il faut dégager 50.000 pelletées de terre pour creuser un étang de 9 x 15 m . Il s’agit d’un marathon physique et mental. Si vous allez trop vite, vous pouvez vous esquinter. Si vous creusez trop lentement, vous n’allez jamais finir. Si vous pensez trop, vous serez découragé. Vous devez garder un certain rythme. Mme Anderson a eu la patience et l’endurance. Elle avait aussi l’espoir—un espoir que le résultat vaudrait la peine de l’effort. Les 24 autres paysans n’avaient pas cela et n’étaient pas en mesure d’aller jusqu’au bout.
Mme Anderson, avec ses enfants, ont travaillé sur son étang chaque jour pendant 1 mois. Elle fut la première à construire un étang à Kikwe. Elle était fière et heureuse quand elle se tenait sur la berge de l’étang et regardait les 300 alevins de 5 cm de long qu’elle venait d’y placer.
Elle prenait grand soin de ses poissons, et aimait les montrer à ses voisins, de même que son étang. Ils pouvaient voir à quelle vitesse les poissons croissaient. Mme Anderson les encourageait à construire aussi des étangs, mais personne ne s’y lançait. Ils étaient trop prudents. Six mois plus tard, elle a pêché une partie de ses poissons et les a lavés et préparés. Elle a invité certains de ses voisins à un repas de poisson frais. Elle se disait que s’ils goûtaient au poisson, ils allaient aussi construire des étangs.
Cela a marché ! Avec l’aide de Mme Anderson, 30 autres paysans ont construit des étangs et ont commencé à élever des poissons dans le village de Kikwe !
Useful references
Balarin, J. 1979. Tilapia: A Guide to Their Biology and Culture in Africa. University of Sterling.
Bocek, A. Editor. Water Harvesting and Aquaculture Development Series. International Center for Aquaculture and Aquatic Environments. Auburn University.
Chakroff, M. 1976. Freshwater Fish Pond Culture and Mangaement. Peace Corps/Vita 191 pp.
Equia, R.V. and M.R.R. Equia. 2007. Tilapia Broodstock and Hatchery Management. 48 pp.
Frtitzsimmons, K. and S.Naim. 2010. Tilapia: 2009 State of the Industry. Tilapia Session. San Diego-WAS-March 5, 2010.
FAO. 1979. How to Begin. Series #27. Better Freshwater Fish Farming. 43 pp.
FAO. 1981. The Pond. Series #29. Better Freshwater Fish Farming. 43 pp.
FAO. 1981. The Fish. Series #30. Better Freshwater Fish Farming. 48 pp.
Marr, A., M.A.E. Mortimer, and I. Van Der Lingen. 1966. Fish Culture in Central East Africa. 158 pp.
Murnyak, D. and M. Murnyak, 1986. Fish Farming Development in Tanzania. Heifer Project International Exchange. #3 May, 1986. p.1.
Murnyak, D. and M. Murnyak. 1990. Raising Fish in Ponds: A Farmer’s Guide to Tilapia Culture. Heifer Project International. Little Rock , Arkansas, USA. 75 pp.
Murnyak, D. and M. Murnyak. 2000. The Role of Volunteer Motivators in Development. Footsteps 43:2-5.
Nandlal, S. and T. Pickerling. 2004. Tilapia Hatchery Operations. Tilapia Fish Farming in Pacific Island Countries. Vol.1. Noumea, New Caledonia: Secretariat of the Pacific Community.
Schumacher, E.F. 1973. Small is Beautiful: Economics as if People Mattered. 286 pp.