Lors de la conférence internationale sur l'agriculture organisée par ECHO en 2014, Dr Laura Meitzner Yoder a donné une conférence plénière intitulée « Cultiver des liens: tirer des enseignements des systèmes de semences locaux, et encourager l'échange de semences au sein de la communauté.» La conférence était basée sur un travail collaboratif réalisé par les personnes suivantes:
Rick Burnette, Directeur fondateur de ECHO Asie
Dr Abram Bicksler, ancien Directeur de ECHO Asie
Dr Ricky Bates, Université de Penn State
Dr Tom Gill, Université de Penn State
Vincent Ricciardi, Technicien de recherche à ECHO Asie
Dr Laura Meitzner Yoder, Collège de Wheaton
Yongyooth Srigiofun, Université de Maejo.
Les points saillants de la conférence de M. Meitzner Yoder sont résumés dans cet article.
L'accès à des semences viables (Figure 1) est essentiel au succès de l'agriculture. C'est l’une des raisons pour lesquelles nos banques de semences en Floride (aux États-Unis), en Thaïlande et en Afrique de l'Est proposent des paquets d'essai de semences aux membres de notre réseau. Nous avons expliqué comment organiser une foire aux semences afin de permettre aux membres d'une communauté de partager et d'acquérir des semences directement les uns des autres. Mais que savons-nous de la manière dont les semences circulent normalement dans une petite communauté agricole?
Importance de la petite agriculture dans le flux des semences de diverses cultures
Les petits exploitants contribuent énormément à l'agriculture en produisant et en préservant la biodiversité. Dans une étude récente, Vincent Ricciardi et ses collègues ont examiné des enquêtes auprès d’agriculteurs et des données de recensement de 55 pays. Ils ont constaté que les fermes de moins de 2 ha produisent entre 30 et 35% de la nourriture mondiale et représentent la plus grande part de la diversité des espèces cultivées par rapport aux autres classes de la taille d’une ferme (Ricciardi et al. 2018). Sur plus de 500 millions de petites exploitations dans le monde, les agriculteurs cultivent des aliments sur de petites parcelles situées dans des écosystèmes et des microclimats variables, souvent proches des forêts et des lisières. Là où les agriculteurs peuvent périodiquement laisser des terres en jachère, des espèces de plantes locales repoussent. Lorsque le régime alimentaire local comprend des aliments sauvages, les agriculteurs continuent le processus de domestication des cultures en collectant et en faisant pousser des graines d'espèces sauvages.
Les processus de semailles contribuent également à la biodiversité. De nombreux petits exploitants ne font pas beaucoup recours à la mécanisation. Plutôt, ils sèment à la main de petits volumes de variétés locales très variées ou de variétés locales génétiquement diverses. Ils peuvent être attentifs aux nouvelles caractéristiques ou traits. Souvent, les petits exploitants font eux-mêmes la conservation des semences dans le cadre d’un processus manuel de sélection et de récolte des semences qui demande beaucoup de travail.
Importance de comprendre le flux de semences
Comprendre comment les semences circulent dans une communauté est extrêmement important, pour plusieurs raisons:
Cela aide à l'évaluation des ressources locales. Vous pouvez savoir, par exemple, quelles sont les cultures que les gens cultivent. Cela vous aide à savoir quelle quantité de diversité génétique est présente et où. Connaitre les semences disponibles peut fournir des informations sur le contenu nutritionnel des cultures régulièrement cultivées et consommées.
Cela aide à l'évaluation et à la promotion des nouvelles cultures. Si vous souhaitez tester ou introduire une nouvelle culture, vous voudrez tout d'abord savoir comment les semences et les variétés circulent dans une communauté, afin de pouvoir travailler au sein du système existant.
Cela renforce la prise de conscience des facteurs affectant les changements Comprendre le système informel des semences peut donner un aperçu des réseaux sociaux ou des hiérarchies sociales au plan local, des modifications internes/externes des ressources, de l'accès, du marketing, etc.
Cela permet une prise de conscience des dangers liés à:
La disponibilité des semences. Parfois, c’est principalement une ou deux personnes dans une communauté qui conservent les semences d’une culture donnée. Il y a vingt ans, Dr Meitzner Yoder a étudié les systèmes de semences dans les hautes terres du Honduras. Elle a appris que dans une région, alors que la plupart des agriculteurs avaient tendance à conserver eux-mêmes leurs semences de maïs, ils consommaient la totalité de leurs haricots, puis achetaient des semences de haricots au moment des semis. Les semences de haricots pour une vaste région provenaient principalement d'un homme qui cultivait beaucoup de haricots dans un village lointain. Dans une situation comme celle-ci, où peu de personnes conservent ou distribuent des semences d’une culture donnée, le système dans son ensemble serait compromis si ces «conservateurs de semences» cessaient de produire des semences ou si elles conservaient des semences de qualité peu fiable. Mais cette même personne pourrait être bien placée pour améliorer la production régionale en améliorant la sélection des semences à la ferme ou en essayant de nouvelles espèces ou variétés.
La diversité génétique. Si la diversité génétique d'une culture ou d'une variété est faible, une maladie pourrait éventuellement survenir et la faire disparaître complètement.
Le rendement des semences. Les semences cultivées pourraient être des semences hybrides, introduites par des programmes de développement ou par le biais de marchés. Si tel est le cas, les résultats obtenus seront probablement de plus en plus variables aussi souvent que les semences seront conservées et cultivées à nouveau.
Cela aide à comprendre les facteurs affectant l'accès aux semences. Découvrir comment les semences circulent dans une communauté peut donner un aperçu des composantes sociales d'accès. Est-ce que tout le monde a un égal accès aux semences? Quels types de personnes partagent des semences et quelles sont les limites sociales dans l'échange de semences?
Cela fournit des informations sur la dynamique locale de conservation des semences. Vous pouvez apprendre quels critères les agriculteurs utilisent lorsqu'ils sélectionnent des plantes parmi lesquelles conserver des semences. Ceux-ci comprennent probablement des facteurs de «qualité» — tels que la durée de conservation, le goût ou l'appétence et la facilité de cuisson — en plus des rendements.
Connaissances recueillies de la recherche en Asie
Dr Meitzner Yoder a décrit une étude coordonnée par ECHO en Asie en collaboration avec la Penn State University et la Maejo University, visant à connaître les systèmes de semences locaux dans trois groupes de villages autochtones en Thaïlande et au Cambodge (12 villages au total). L’équipe a décidé d’examiner cinq aspects du flux de semences au sein des communautés, décrits ci-dessous. Les membres de l'équipe ont vécu dans chaque village pendant un mois, interrogeant les ménages sur leurs semences et où ils les avaient obtenues.
- De quelles espèces les agriculteurs ont-ils conservé des semences? L'équipe a décidé de poser des questions sur les semences de légumes en particulier, mais devait d'abord comprendre comment définir un « légume » dans leur contexte. Dr Meitzner Yoder a expliqué que le terme « légume » est un concept culturel et culinaire ; il n'y a pas de critères universels permettant de décrire si une plante est un légume ou pas. Aux fins de l'étude, on a considéré un légume comme toute plante utilisée comme ingrédient principal dans les plats servis sur la petite table ronde au cours d'un repas typique du nord de la Thaïlande. Rick Burnette, Directeur de ECHO en Asie, a proposé une liste de 210 légumes indigènes, que l'équipe a réduite à 80 (50 vivaces et 30 annuelles ; au total, 30 familles de plantes étaient représentées). Certaines des espèces n'étaient que semi-domestiquées et étaient généralement stockées et cultivées dans un mélange comprenant jusqu'à une douzaine d'espèces différentes.
- Les sources et l’approvisionnement—d’où les gens obtenaient-ils leurs semences? Pour faciliter les conversations avec les ménages, les enquêteurs ont utilisé une carte d'identification pour chaque légume, montrant des photos de différentes parties de la plante. Ces cartes (Figure 2) ont été utilisées maintes et maintes fois, adaptées si nécessaire dans différentes localités pour inclure des photos de variétés locales. Les cartes photographiques constituaient un point de référence commun dans une région peu alphabétisée où sept groupes linguistiques étaient représentés. Elles étaient participatives et amusantes à utiliser; elles facilitaient également la collecte de données, car chaque carte était numérotée et pouvait donc être enregistrée très facilement. Les participants ont fabriqué des piles de cartes pour répondre aux questions: Avez-vous déjà vu cette espèce auparavant? Cette espèce est-elle présente dans votre communauté? Etait-elle présente d'habitude? Conservez-vous des semences de cette espèce? Achetez-vous des semences de cette espèce? Aimeriez-vous en avoir davantage de cette espèce?
Dans le nord de la Thaïlande et du Cambodge, le commerce de petites quantités de semences était courant. Contrairement au Honduras, cette recherche n'a pas indiqué qu'il y avait des «conservateurs de semences» désignés. Les gens n’achetaient pas de semences et ne s'attendaient à aucun remboursement pour le partage de semences. Le partage des semences a permis de tisser des liens et de surmonter les conflits ethniques; il était plus facile pour les agriculteurs de demander des semences à des agriculteurs d'autres ethnies que de demander à des agriculteurs d'autres classes socio-économiques. L’achat de semences commerciales (la plupart hybrides) était nouveau et beaucoup de personnes y voyaient un signe de succès économique.
La diversité des semences au Cambodge était plus faible que dans les divers microclimats et ethnies des hautes terres de la Thaïlande, avec principalement des haricots et des citrouilles disponibles. Les agriculteurs ont fait la remarque que le système de semences précédent au Cambodge avait été détruit pendant le génocide, puis remplacé par des semences commerciales hybrides introduites par les agences - Quelle était la qualité des semences? Il existait peu de données sur la qualité des semences. ECHO Asie a testé le niveau de germination de nombreuses semences (Bicksler 2011; Gill et al. 2013; Lawrence et al. 2017). Les légumineuses présentaient les taux de germination les plus élevés des semences testées.
- Comment les semences étaient-elles traitées et conservées? Les participants ont été interrogés sur la manière dont les semences étaient séchées (sur la plante? Au soleil?), comment elles étaient conservées et quels types de récipients étaient utilisés. Les méthodes de traitement des semences varient d'un pays à l'autre. La plupart du temps, les semences étaient conservées sur la plante ou au soleil et étaient conservées dans la cuisine.
Les participants ont également été interrogés sur les phases du cycle des semences et sur les personnes (hommes, femmes ou les deux) responsables du désherbage, de la décision de planter, de la récolte et du séchage des semences, de la vente, de l'achat, de la conservation et de l'approvisionnement en semences (Figure 3). Les résultats, qui démontrent le niveau élevé de participation des femmes à presque toutes les étapes du cycle des semences, ont été extrêmement surprenants pour certains agents de vulgarisation locaux, qui ont demandé que l’exercice soit répété (les mêmes résultats ont été trouvés la deuxième fois). Ils ont appris à s’assurer d'inviter les femmes lors d'une formation sur les semences! - Quelles étaient les variétés locales et quel potentiel d'amélioration existait-il? Les enquêteurs ont demandé aux gens s’ils procédaient à une culture végétale ou sélection de plantes. Les agriculteurs conservaient-ils expressément les «meilleurs» fruits? Les semences étaient-elles triées avant d'être conservées (par exemple, pour éliminer les petites graines ou celles comportant des trous)?
Exemple d'une foire aux semences pour améliorer le flux de semences
Dr Meitzner Yoder a conclu son exposé en décrivant une foire aux semences organisée après le mois des entretiens, afin de promouvoir l’échange de semences au sein de la communauté. Les familles participant à l’étude ont chacune reçu une invitation, ainsi que dix petits sacs en plastique à fermeture à glissière. Chaque famille a été invitée à emballer et à apporter des semences d'un légume ayant une caractéristique particulière. Lors de la foire aux semences, chaque agriculteur a eu l’occasion de discuter des variétés de semences qu’il a apportées et de la raison pour laquelle il les apprécie. La foire comprenait également une formation sur la conservation des semences et un temps pour répondre aux questions sur la conservation des semences. À la fin de la foire aux semences, les participants ont eu le temps de discuter de leurs variétés de plantes et de choisir les paquets de semences à rapporter à la maison.
Conclusion
Lorsque vous comprenez les systèmes des semences dans une communauté, vous pouvez planifier des interventions en agriculture qui sont judicieuses, utiles et efficaces. En vous renseignant sur les systèmes semenciers existants, vous pouvez également aider les agriculteurs à comprendre comment ils peuvent partager et acquérir des semences qu'ils produisent eux-mêmes ou qu'ils obtiennent d'autres personnes. Nous espérons que cet article vous aidera dans un cas comme dans l’autre!
Ressources supplémentaires
Tshin, Ruth. 2013. How to facilitate seed exchanges during country meetings or as a single-day event. [Comment faciliter les échanges de semences lors de réunions de pays ou en une seule journée]. Notes ECHO Asie n°16.
En savoir plus sur l'étude décrite dans cet article ici.
Voir TN #80 pour plus d'informations sur la planification et l'organisation d'une foire aux semences.
Pour en savoir plus sur l’importance des petites exploitations au niveau mondial, consultez ce site Web interactif «Story Map». Faites défiler la liste pour afficher les informations interactives.
Références
Bicksler, A. 2011. Testing seed viability using simple germination tests [Tester la viabilité des semences à l'aide de simples tests de germination]. Notes de ECHO en Asie n°11.
Gill, T.B., R. Bates, A. Bicksler, R. Burnette, V. Ricciardi, et L.Yoder. 2013. Strengthening the informal seed systems to enhance food security in Southeast Asia [Renforcement des systèmes semenciers informels pour améliorer la sécurité alimentaire en Asie du Sud-Est]. Journal of Agriculture, Food Systems and Community Development 3(3):139-153.
Lawrence, B. A.J. Bicksler, et K. Duncan. 2017. Local treatments and vacuum sealing as novel control strategies for stored seed pests in the Tropics [Les traitements locaux et le scellement sous vide en tant que nouvelles stratégies de lutte contre les ravageurs des semences en conservation sous les tropiques]. Agronomy for Sustainable Development 37:6.
Ricciardi, V., N. Ramankutty, Z. Mehrabi, L. Jarvis, et B. Chookolingo. 2018. How much of the world’s food do smallholders produce? [Quelle est la quantité de nourriture produite par les petits exploitants dans le monde] Global Food Security 17: 64-72.
Yoder, L.S.M. et Ricciardi, V. 2012. Seed fairs: Fostering local seed exchange to support regional biodiversity [Les foires aux semences: Favoriser les échanges locaux de semences pour soutenir la biodiversité régionale]. Note Technique de ECHO n° 80.
Citer comme suit:
Berkelaar, D. 2019. Découvrir les systèmes de semences locaux et en tirer des enseignements. Notes de développement de ECHO no 143